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Publié dans le Circus, hiver 1970
Entrevue réalisée par Salli Stevenson

Salli Stevenson était journaliste free-lance à Los Angeles quand elle rencontra Jim au mois d'octobre, pendant l'ajournement de la sentence du procès de Miami. Jim séjournait alors temporairement à l'hôtel Hyatt sur le Sunset Strip, partageant une suite avec son copain Babe Hill.

L'interview eut lieu le 14 octobre, fut transcrite le jour suivant et remise à Jim le 16 pour correction. Il supprima certaines références au procès de Miami qui pouvaient lui causer du tort légalement s'il devait être condamné et voulait par la suite faire appel. Salli se souvient que l'interview, réalisée au bureau des Doors, fut << très sérieuse, jusqu'à ce qu'on aille au Phone Booth >>. A ce moment-là, les choses prirent un tour plutôt << scandaleux >>, mais le magnétophone avait été alors débranché.

L'interview fut publiée en deux parties, en décembre 1970 et janvier 1971, dans le magazine Circus

PREMIERE PARTIE


Quelle que soit votre vision personnelle de l'enfer, il est toujours rassurant de rencontrer, si toutefois une telle opportunité s'offre à vous, des amis qui par un coup du sort extraordinaire, un miracle à la James Bond, peuvent vous sauvez du pire à l'extrême seconde, avant que le maître n'engloutisse votre esprit à jamais. L'enfer : comment vous le représentez-vous ? Un concept insaisissable, fascinant, aussi effrayant que l'idée du maître des lieux. L'entité physique revêt d'innombrables formes, notre imaginaire n'y voit que révolte et désolation, explosion de feux et précipices. Sa lumière aveuglante se fraie un chemin à travers notre conscience médiévale, où dorment les sabots, les cornes et les fourches, les crops rôtis comme des guimauves sur des charbons ardents, ce que les siècles futurs appelleront notre paranoïa.

Satan était notre croque-mitaine, il était celui qui effrayait les vilanis enfants par les nuits obscures, et puis... il est devenu à la mode, la muisique et la presse l'ont glorifié. Certains même l'ont incarné, et parmi les derniers d'entre eux, le satanique Mick Jagger et le démoniaque Jim Morrison, les diables américains les plus sexy des années 60. De << l'image >> de jim, tout ou presque a été dit, et de façon explicite, lors d'entretiens réalisés précédemment ou dans des articles de presse. Les concerts n'ont fait que parachever cette image. Son escapade à Miami l'été passé s'inscrit pourtant dans quelque chose de totalement différent.

Il était près de quatres heures quand Kurt Inghan ( notre photographe ) et moi avons rencontré Risa, notre amie,et public relations. Nous sommes alors partis pleins d'entrain à la rencontre de Jim Morrison pour ce qui devrait être notre première journée d'entretien. Le bureau des Doors, une ancienne boutique d'antiquaire sur le boulevard de Santa Monica, fait partie d'un immeuble en stuc marron et or typique de la Californie. Jim était assis dans un coin, derrière un bureau, dans l'obscurité perpétuelle de la pièce principale. Il souriait lentement, chaleureusement, avec les yeux surtout. Il suggéra d'une voix qui était celle d'un homme d'affaires que nous fassions l'entretien dans le jardin où figurait en bonne place un minuscule bassin dans lequel nageaient quatre poissons rouges. On était loin des lézards et des serpents à demi espérés. Risa demanda s'il y avait un crocodile quelque part, et Jim répondit avec humour qu'il était mort. Les lézards, ça passait encore, mais pas les crocodiles, ça non. Nous étions tous un peu tendus à l'idée d'être confrontés à << l'image >> Morrison. Jim demanda une cigarette, et expliqua qu'il ne fumait quel lorsqu'il était nerveux.


La critique a été très sévère avec votre dernier album, pas seulement parce qu'il s'agit d'un nouvel album << live >> en plus des nombreux déjà sortis, mais parce qu'il manque de verni, d'éclat. Pourquoi cette impression selon vous ?

Jim Morrison : L'album << live >> est un condensé de vingt-quatres heures d'enregistrement en concert réalisés sur une période d'un an approximativement. Le premier enregistrement eut lieu à l'Aquarius, en août 1969. Ce soir-là, il nous a paru intéressant d'enregistrer. On a fait deux prises, mais quand nous les avons écoutées en studio, il nous a semblé qu'il n'y avait pas matière à faire un bon album. C'était une grande soirée, mais ça ne rendait pas grand-chose sur bande. Alors, nous avons enregistré sept ou huit autres concerts, nous les avons tous réécoutés et nous avons fait les coupes nécessaires. Je crois que c'est un document vrai et honnête de ce que peut faire le groupe un soir de concert. Ce n'est sûrement pas ce que nous pouvons faire de mieux, mais ce n'est pas non plus ce que nous avons fait de pire. C'est un document sincère sur une soirée d'une qualité un peu supérieure à la moyenne. J'aime beaucoup The Celebration, même s'il est possible de faire beaucoup mieux. Il est bon que nous ayons pu faire cette chanson, parce que je doute qu'on l'ait jamais retrouvé sur un disque, étant donné qu'elle a plus de deux ans. Nous avons essayé de la faire à l'époque où on enregistrait Waiting for the Sun, mais ça n'a pas marché en studio, alors on en a gardé un morceaux seulement, Not to Touch the Earth. Si nous ne l'avions pas gardé sur l'album << live >>, il ne nous serait plus resté qu'à l'oublier. Je suis heureux que cette chanson existe, pour imparfaite qu'elle soit sous sa forme actuelle. C'est toujours mieux que rien. Quand au manque de << verni >>... Je crois que pour l'essentiel, l'album est très professionnel. Il y a certaines chansons que nous n'avions jamais chantées sur scène, dont nous n'avions pas l'habitude, elles ont donc quelques défauts... Je crois que les gens ne se rendent pas compte à quel point jouer en live est différent du studio. En studio, vous avez des jours pour mettre au point l'instrumental, et plusieurs heures pour la partie vocale. En live, il n'y a qu'une prise. Écoutez l'album, et vous constaterez le progrès qu'il y a d'une chanson à l'autre, comment les choses deviennent progressivement meilleures, intéressantes... professionnelles.

Comment expliquez-vous qu'au cours des années votre musique ait connu un déclin, qu'elle soit devenue, du moins en apparence, moins inventive ? Les Doors ont d'abord été le grand espoir révolutionnaire de l'Amérique, et aujourd'hui, le groupe semble avoir perdu de son impact...

Jim Morrison : Il y a trois ans, souvenez-vous, il y avait une grande renaissance spirituelle et émotionnelle liée à des sentiments révolutionnaires. Les choses ne pouvaient pas changer en un soir, je crois que les gens vont comprendre tout bonnement que nous sommes encore là à faire de la bonne musique.

Et Janis et Jimi, morts tout les deux. Ils sont passés par la même période...

Jim Morrison : Je crois que cette grande explosion d'énergie créative qui a eu lieu il y a trois ou quatres ans a été dure à supporter pour les artistes sensibles. Pour eux, il n'y avait que les << hauteurs >>, tout le reste dû les décevoir. Quand la réalité s'est mise à travailler contre leur vision intérieure, ils se sont laissés aller.

Risa : Comment croyez-vous que vous mourrez ?

Jim Morrison : J'espère que j'aurais cent vint ans, le sens de l'humour et un lit confortable. J'aimerais que personne ne soit là. Je voudrais seulement m'éloigner tranquillement, mais je tiens bon en attendant. Je pense qu'il est très possible que la science remporte finalement la victoire sur la mort.

Il y a des tas de gens qui croient en la réincarnation et aux esprits. Si la science réussissait ce que vous dites, qu'arriverait-il à leur monde spirituel ?

Jim Morrison : Ils devront se débrouiller tout seuls. Laissez-nous seuls, pauvres immortels que nous sommes.

J'en déduis que vous ne croyez pas au karma ou à la réincarnation ou aux forces occultes en général ?

Jim Morrison : Non, pas vraiment, mais je n'ai rien à proposer en échange. Je me contente d'écouter. Je ne dis jamais non.

En quoi croyez-vous alors?

Jim Morrison : Nous sommes les descendants des serpents, et je vois l'univers comme un serpent péristaltique gigantesque. J'ai toujours vu les gens, les objets, les paysages comme des petites images sur les facettes de leur peau. Je crois que le mouvement péristaltique est le mouvement de la vie par excellence, vos structures unicellulaires elles-mêmes obéissent à ce mouvement. Avaler, digérer, avoir des rapports sexuels...

On a dit que vous aviez un super-égo de superstar. Est-ce que cela a affecté vos relations avec les autres, avec le groupe ?

Jim Morrison : C'est une question complexe. Évidemment on ne peut pas parler de ça avec les gens. Je ne crois pas que les choses aient été jusqu'à ce point. Je ne fais pas attention à tout cela, ce sont les articles des magazines qui me le rappellent. Dans une ville comme L.A., on ne fait même plus attention à toutes ces images, les gens sont blasés.

Parlez-moi des magazines...

Jim Morrison : En fait, la plupart du temps, j'ai aimé les choses que j'ai lues. Celles qui me concernaient évidememnt. D'ordinaire, on s'intéresse d'avantage à soi et aux gens qu'on connaît. Mais... ils se sont beaucoup trop souvent intéressés à mon appendice, sans prêter attention au fait que j'étais un jeune spécimen mâle en assez bonne santé qui avait autre chose que des bras, des jambes, des côtes, un thorax, des yeux... je veux dire, un cervelet... un être humain équipé d'une tête, d'une sensibilité, tout le bazar.

Kurt : Il y a eu une époque dans la pop où les gens attendaient des réponses des pop stars, oubliant que les pop stars étaient des gens comme tout le monde. On dirait aujourd'hui qu'ils ont délaissés les idoles pour se concentrer sur les héros. En définissant le héros comme quelqu'un que l'on peut atteindre, et l'idole comem quelqu'un d'intouchable, vous considérez-vous plutôt comme une idole ou comme un héros ?

Jim Morrison : Un héros est quelqu'un qui se rebelle ou paraît se rebeller contre les faits de l'existence et qui parvient à remporter une victoire sur eux. Manifestement, ça ne marche qu'un temps. C'est une chose qui ne peut pas durer. Ça ne veut pas dire évidemment que les gens ne doivent plus essayer de se rebeller contre les faits de l'existence. Un jour, qui sait, peut-être aurons-nous fait la conquête de la mort, de la maladie et de la guerre.

Mais vous cependant...

Jim Morrison : Je crois que je suis un être humain sensible et intelligent affublé de l'âme d'un clown, ce qui m'oblige constamment à tout faire échouer aux moments les plus importants.

Et si vous aviez à tout recommencer ?

Jim Morrison : Je ne nie pas avoir passé du bon temps ces trois ou quatres dernières années. J'ai rencontré beaucoup de gens intéressants, et j'ai vu en peu de temps des choses que je n'aurais pas approchées en vingt ans de vie ordinaire. Je ne peux pas dire que je le regrette. Si c'était à refaire, je crois que je choisirais la voie tranquille de l'artiste-cultivant-son-jardin.

Quand vous étiez à l'UCLA, vous avez fait du théâtre, et puis vous avez fait partie de ce groupe. Est-ce que vos rêves sont devenus réalité ?

Jim Morrison : Au début, je ne pensais pas monter un groupe. Je voulais réaliser des films, écrire des pièces de théâtre, des livres. Quand je me suis retrouvé dans le groupe, j'ai voulus y apporter certaines idées. On n'en a pas fait trop de cas non plus... Il faudrait un volume entier de prose pour répondre à votre question avec candeur et sincérité. Alors, il vous faudra attendre que je puisse me remettre au travail et écrire ce que je pense vraiment de tout ça. C'est trop profond pour être évoqué en si peu de temps, et je ne tiens pas à donner là-dessus une réponse réductrice, parce que c'est la question la plus importante de toute. J'y travaille déjà sérieusement, entre les interviews.

J'aime les interviews...c'est un peu comme de subir un contre-interrogatoire. C'est étrange d'essayer de se souvenir de ce qui est arrivé dans le passé, d'essayer de faire le point, de se souvenir honnêtement de de à quoi vous pensiez alors, de vos tentatives. C'est un exercice mental crucial. L'interview est l'occasion de confronter votre esprit à des questions qui pour moi rejoignent le problème de l'art. C'est une forme d'auto-interview dans laquelle vous vous posez des questions et essayez d'y apporter des réponses raisonnables. C'est aussi l'occasion de tenter d'éliminer tout ce qui ne sert que de bouche-trou. Ces << ahhh, vous voyez ce que je veux dire, vous savez enfin >>.

Kurt : Mais tout le monde fait ça.

Jim Morrison : Je sais. Mais on ne devrait pas. Les docteurs, les avocats, les scientifiques, les bons écrivains ne le font pas. Vous remarquerez que leur conversation est beaucoup moins vague que celle de la plupart des gens que vous rencontrez. C'est peut-être obscur parfois, mais vous devez être explicite, précis, sur un point... pas de conneries. J'aime les interviews, je crois que c'est une forme d'art qui est appelée à prendre une place de plus en plus importante, et qui se rattache historiquement au confessionnal, au débat public et au contre-interrogatoire. Une fois que vous avez dit quelque chose, vous ne pouvez plus revenir en arrière. C'est trop tard. C'est un moment profondément existentiel.

Kurt : Avez-vous vus Alice Cooper ou les Stooges ?

Jim Morrison : Non, je ne les ais pas entendu jouer. J'ai seulement lus quelque petites chose sur eux... ça à l'air génial. J'aime bien les gens qui secouent les autres et les mettent mal à l'aise.

Kurt : Voulez-vous dire quelque mots du procès de Miami ?

Jim Morrison : Le procès a duré six semaines et ce furent six semaines très intéressantes. L'accusation pour conduite indécente a été abandonnée, mais il y a encore deux charges qui pèsent contre moi et qui peuvent me valoir huit mois de prison. J'ai reconnu avoir employé un langage obscène, mais je continue de nier l'accusation d'exhibition indécente. Nous allons continuer de faire appel jusqu'à ce que cette accusation soit abandonnée. Ça peut prendre encore un an ou deux. Je pense que c'était d'avantage un scandale politique qu'un scandale sexuel. Ils ont embrayé sur l'aspect érotique parce que les accusations politiques ne tenaient pas. Ça n'avait aucun sens. Plus que d'aucun incident spécifique, je crois que ce procès était celui d'un certain style de vie. Quoi qu'il en soit, je retourne au tribunal le 30 octobre, date à laquelle la sentence sera fixée. Je risque normalement un peine maximale de huit mois. Cependant, qoi qu'il puisse être décidé, et même s'il y a renvoi, nous continuerons de faire appel. L'accusation pour langage obscène devrait être rapidement abandonnée, parce que la Cour suprême a récemment fait savoir que le Premier Amendement garantissant la liberté d'expression protégerait désormais les spectacles théâtraux, et les autres. Les charges devraient donc devenir rapidement anticonstitutionnelles. En ce qui concerne l'exhibition, nous continuerons de plaider l'innocence. Aussi longtemps que l'accusation n'en fera pas la preuve irréfutable, nous continuerons de faire appel et de renvoyer l'affaire en cour supérieure. Si bien que je ne devrais pas aller en prison tout de suite... je ne crois pas.

C'était un procès très intéressant. C'était la première fois que je voyais le système judiciaire en action, que j'assistais au déroulement d'un procès du début à la fin. Étant l'accusé, j'étais tenu d'être présent tout les jours, et c'était fascinant... et riche d'enseignements. Je n'aurais pas choisi de vivre une pareille expérience, mais puisque c'était le cas, il ne me restait plus qu'à assister au spectacle.

DEUXIÈME PARTIE


Être assis, attendre que quelque chose survienne qui bouleverse tout sans possibilité de l'empêcher, une expérience qui vous met l'estomac à l'envers et les nerfs à fleur de peau. Jusqu'à ce que l'attente touche à sa fin. Jim Morrison se leva et fit face au juge Murray Goodman à Miami.

<< Vous êtes une personne douée de talent, admirée par vos pairs. L'homme a tendance à imiter ce qu'il admire, et ces dons qui sont les vôtres, alliés au pouvoir de guider et d'influencer autrui, devraient être au service du meilleur et non du pire. >> Avec ce discours, le juge Goodman fixa la sentence pour obscénité publique et exhibition indécente. Jim fut condamné à six mois, et sa caution fut portée de 5 000 à 50 000 dollars. Morrison et ses avocats viennent de porter l'affaire en appel, ce qui peut prendre jusqu'à trois ans. Si ça marche, il est certain que Morrison ne purgera aucune peine de prison. Dans le cas contraire, il risque sans doute un maximum de deux mois.


Jim Morrison : J'ai été soulagé de ne pas aller en prison. Ça leur aurait été facile de m'y envoyer. Je me sens libre pour la première fois depuis un an et demi. Nous allons contester la sentence jusqu'à ce qu'on finisse par l'effacer de mon casier. L'appel fera le tour des circonscriptions judiciaires de Floride, et si ça ne suffit pas, nous ferons appel à la Cour d'État et finalement à la Cour suprême, jusqu'à ce qu'une décision finale soit prise.

Sur quoi se base exactement cet appel ?

Jim Morrison : L'attitude du juge a montré qu'il essayait de m'avoir dans les limites imposées par la loi. Ce sera un des motifs de notre appel, le fait que je n'ai pas reçu un procès équitable en raison d'un préjugé judiciaire. Par exemple, il a limité les témoins de la défense au nombre des témoins présentés par l'accusation, et n'a admis aucun témoignage ni aucune preuve touchant aux valeurs contemporaines de la communauté, comme, par exemple, emmener le jury voir Woodstock et Hair et les autres films ou pièces de théâtre qui se jouaient à Miami à l'époque. Ce n'est là que deux exemples de rigidité et de manque d'équité selont nous. L'accusation la plus importante, l'exhibition indécente, n'a jamais pu être prouvée de manière concluante en six semaines de témoignages. Il y avait dix ou douze mille personnes ce soir-là au concert, et d'innombrables caméras. A aucun moment, l'accusation n'a pu fournir une seule photographie de cette prétendue exhibition.

Je comprends que votre avocat et vous-même ayez fait appel. Selon vous, le juge n'a donc tenu aucun compte de vos arguments ?

Jim Morrison : Max (Fink) a déclaré qu'il me connaissait depuis quatre ou cinq ans, et qu'il avait de moi, l'image d'un homme honnête qui a contribué à faire des choses importantes pour la société, et qui continue de le faire. Il a déclaré que le mode d'expression utilisé pour communiquer ce que j'avais en tête à Miami était tout à fait banal dans le contexte actuel, et qu'il n'y avait là aucune intention de faire le mal. Quant aux autres accusations, il n'y avait aucune preuve. Il semble pourtant que le juge avait déjà décidé de ce qu'il comptait faire. Il avait décidé qu'il rejetterait les motions de Max.

Quel était votre état d'esprit au cours de ce procès ?

Jim Morrison : Je crois que simplement j'en avais marre de l'image qu'on avait créée autour de moi et à laquelle je collaborais, quelquefois consciemment, la plupart du temps inconsciemment. C'était trop pour que je puisse l'avaler et alors j'y ai mis fin, glorieusement, en un seul soir. Je crois que cela se réduisait à ce que j'ai dit au public, qu'il étaient une bande de foutus cons pour faire partie de ce public. Qu'est-ce qu'ils faisaient là, de toute façon ? Le message essentiel... c'était de comprendre qu'ils n'étaient pas vraiment là pour écouter quelques airs joués par de bons musiciens. Vous êtes là pour autre chose. Pourquoi ne pas l'admettre et s'en occuper ?

Vous avez fait l'île de Wight...

Jim Morrison : C'était pendant le procès. J'ai pris un avion à Miami, je suis arrivé à Londres, j'ai pris une voiture pour rejoindre un petit aéroport, et j'ai repris un avion de tourisme pour l'île de Wight. De là, j'ai filé directement au concert. Quand je suis monté sur scène, je n'avais pas dormi depuis trente-six heures. Je n'ai pas donné le meilleur de moi-même... le meilleur de ma condition physique. Je ne crois pas que c'était tellement important, de toute façon. Les concerts de cette période ne devaient guère valoir mieux.

Que pensez-vous de l'attitude négative qu'ont eue les journaux anglais ?

Jim Morrison : Disons que nous n'étions pas le point culminant du festival, mais nous n'avons pas été merdiques non plus. Tout le monde s'est assis, a écouté, a applaudi comme un public est censé le faire.

Qu'arrivera-t-il au groupe si, par hasard, vous deviez purger la peine à laquelle vous avez été condamné ?

Jim Morrison : C'est à eux de vous répondre, mais j'espère que puisqu'il s'agit d'excellents musiciens, ils continueront et créeront un nouveau son instrumental qui n'appartiendra qu'à eux, qui ne dépendra pas d'un texte. En attendant, il nous reste un album à faire. Nous allons commencer à répéter prochainement. Le cinéma m'a toujours fasciné également, et je vais m'y mettre aussi vite que possible. Et puis, j'ai envie d'écrire un autre livre.

Est-ce que qu'un jour vous écrirez un livre sur ce procès ?

Jim Morrison : Sans doute en raconterais-je l'histoire un des ces jours. Ce peut être un bon exercice journalistique. Et puis, ce procès m'a permis de quitter L.A. assez longtemps pour la première fois en cinq ans. La Floride est un endroit magnifique, presque sans pollution. J'ai même eu la chance d'aller à Nassau et d'apprendre la plongée sous-marine.

J'ai lu quelque part que vous et le reste du groupe êtes propriétaire d'une île dans ce coin-là.

Jim Morrison : Non, mais j'aurais bien aimé parce que les Caraïbes sont le plus bel endroit que j'aie jamais visité. L'eau est d'une transparence parfaite, et le sable d'un blanc étonnant. Ailleurs, le sable a une teinte marron, et vous pouvez voir des grains de plusieurs couleurs, mais là, il est d'un blanc très pur. On dirait des coquillages blancs, des coquillages marins minuscules. J'aimerais beaucoup posséder une île dans cette région. Ils en ont encore quelques unes à vendre.

Kurt : Ils ont des ouragans aussi, vous savez ?

Jim Morrison : Oui, un bon moyen de rester en contact avec la nature. C'est la calamité garantie chaque année.

En parlant de calamité... Que pensez-vous de la police ?

Jim Morrison : La police est différente dans chaque ville et dans chaque région. Les plus grands policiers, à l'exception évidemment d'une minorité, sont les bobbies anglais. Ils m'ont paru très polis, de vrais gentlemen. Les flics de L.A. sont différents de tout les autres flics de la plupart des villes. Ce sont des idéalistes qui ont une croyance quasi fanatique dans le bienfondé de leur cause. Ils ont toute une philosophie derrière leur tyrannie. Partout ailleurs, la police fait son boulot, mais à L.A., j'ai remarqué un sens de la droiture et de la vertu qui fait froid dans le dos. Sur la route, ils ne sont pas mauvais. Je me suis fait arrêter une fois à New Haven, Connecticut. Quand vous voyagez avec un groupe, ils vous font généralement des histoires, mais nous sommes un groupe calme, pas des camés ni des maniaques du sexe, vous voyez ? Alors, au bout du compte, on n'a pas eu tant d'ennuis que ça. En général, quand je vais dans une ville étrangère, je reste à l'hôtel et je regarde par la fenêtre, de toute façon.

Il y a des tas de choses qui surviennent en ce moment en Amérique. Quel en sera le résultat selon vous pour le pays étant donné le climat actuel ?

Jim Morrison : Je pense que quoi qu'il puisse arriver, l'Amérique est déjà une arène. Elle est au centre de l'action, et il faudra des gens solides et détachés pour survivre à un climat comme celui-là. Je suis sûr qu'ils y parviendront, mais pour la plupart des habitants des villes, c'est la paranoïa galopante. La paranoïa est, selon moi, une peur irrationnelle. Le problème, c'est... quand la paranoïa devient réelle. Tout ce qui vous reste à faire alors, c'est de tenir le coup aussi longtemps que possible...

Interview prise sur http://www.multimania.com/doors/