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Publié dans le Rolling Stone, printemps 1971
Entrevue réalisée par Ben Fong-Torres

Les Doors enregistraient en quartet leur dernier album, L. A. Woman, quand un des plus importants journalistes de Rolling Stone, Ben Font-Torres, vint les voir à Los Angeles.

Maintenant que le procès de Miami était derrière lui, Jim pouvait en parler librement. L'interview parut en mars 1971, peu de temps avant son départ pour Paris

Los Angeles. Jim Morrison et les Doors sont de retour à Hollywood et travaillent sur un nouvel album, cette fois sans le producteur Paul Rotchild, un album d'inspiration blues , dit Morrison du blues originel, si une telle chose existe .

Morrison, l'ex-symbole sexuel du rock de la côte Ouest, le poète qui se qualifie lui-même de Roi Lézard , a été déclaré coupable, au terme d'un procès de deux mois en Floride, d'exhibition indécente et d'avoir employé publiquement un langage obscène au cours du concert qu'il a donné à Miami en mars 1969. Il est actuellement en liberté provisoire, et son affaire est toujours en appel, probablement pour un temps indéfini.

Jim Morrison poursuit malgré tout sa carrière avec les Doors, et continue de faire la transition entre le rock and roll, la poésie et les films. Il paraît maintenant quelques années de plus, et, s'il a toujours cette allure jungle , son visage, avec ses longs cheveux noirs et cette barbe qui dévore ses joues, rappelle aujourd'hui davantage le lion que Tarzan. En outre, il a pris un peu d'embonpoint. Discret sur l'affaire de Miami dans l'interview qu'il donna à Rolling Stone en juillet 1969, comme il fut silencieux au cours du procès, Morrison parut davantage disposé à parler quand je le rencontrai à Hollywood, comme s'il tenait à éclaircir certaines choses du passé, à discuter des Doors et à replacer l'afaire de Miami dans son contexte, en toute liberté.

Vous considérez-vous toujours comme le Roi Lézard ?

Jim Morrison : C'était il y a deux ans, et même à l'époque c'était un peu ironique. J'ai dit ça à moitié pour rire... vraiment. C'était une phrase qu'on pouvait reprendre facilement. Je pensais que tout le monde aurait deviné que c'était ironique, mais apparemment ils ont pensé que j'étais fou.

Diriez-vous que vous vous classez parmi ceux dont certains disent qu'ils incarnent la mort du rock ?

Jim Morrison : Eh bien, j'ai dit que le rock était mort depuis des années déjà. Ce que le rock signifie pour moi, c'est... par exemple, il y a vingt ou trente ans, le jazz était le genre de musique vers laquelle les gens allaient, et des foules entières ont dansé là-dessus. Et puis le rock and roll est venu remplacer ça, et une nouvelle génération est arrivée et elle a appelé ça le rock. Une autre génération de gosses viendra dans quelque temps, une génération fourmillante, et elle trouvera un autre nom. Ce sera encore une fois une musique qui touchera les gens et les fera bouger.

Mais, il y a vingt ans ou trente ans, la musique n'éait pas encore le symbole de toute une nouvelle culture ou d'une subculture.

Jim Morrison : Mais, vous savez, chaque génération exige de nouveaux symboles, de nouvelles personnes, de nouveaux noms, ils veulents marquer leur divorce d'avec la génération précédente. Ils n'appelleront pas ça le rock... Ne voyez-vous pas qu'il y a un cycle dans tout cela, tous les cinq ou dix ans, quand on voit tous ces gens se rassembler, essaimer, se réunir dans l'idée de rupture... Quand vous pensez au rock, vous pensez musique. Je veux dire, m^me si vous ne compreniez pas les mots, vous auriez encore toutes les raisons de réagir.

Et Miami ? Est-ce que toute cette histoire va affecter votre choix de donner des concerts ?

Jim Morrison : Je crois que Miami a été le point culminant de tous les concerts que nous avons donnés. Subconsciemment, je pense que j'essayais d'en finir, de réduire les choses jusqu'à l'absurdité, et ça n'a que trop bien marché.

Quand avez-vous eu le sentiment que les choses cessaient d'être amusantes ?

Jim Morrison : Je crois qu'il y a un certain moment où on est sur la même longueur d'onde avec son public, et puis on grandit ensemble et on en prend conscience. Ce n'est pas que vous dépassez votre public, simplement, les choses doivent prendre une autre direction.

Le blues pourrait être cette direction ?

Jim Morrison : Non, c'est juste un retour à ce que nous aimons le plus. Ce qu'en fait nous apprécions les et les autres. non pas que nous ayons fait une musique qui ne nous plaisait pas. Quand on jouait dans les clubs, je dirai que la moitié de ce qu'on faisait était du blues, et les disques que nous avons enregistrés en sont un reflet, mais je crois que c'est dans le vieux blues que nous sommes à notre sommet. J'aime le blues, parce que c'est fantastique à chanter.

Nous jouons en ce moment avec le bassiste d'Elvis, Jerry... bon sang, j'ai oublié son nom [Sheff], et pour la première fois, nous enregistrons sur les lieux même où nous répétons, avec un studio à l'étage. Nous travaillons avec le même ingénieur du son que pour les précédents albums, Bruce Botnick. Paul Rotchild n'est pas dans le coup cette fois. C'est à convenance mutuelle, on s'est dit qu'il était temps... de suivre une voie différente.

Qu'attendiez-vous du procès de Miami, en dehors de votre liberté personnelle ?

Jim Morrison : Vous savez, j'espèrais... ou je pensais que cette affaire avait une d'avoir un grand retentissement, d'être exemplaire, mais les choses n'ont pas tourné de cette façon. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles ils ont tellement fait traîner ce procès. La rapidité aurait joué en notre faveur, l'affaire aurait attiré davantage l'attention. En fait, on s'en est désintéressé au plan national. Après tout, c'était peut-être aussi bien, j'en étais soulagé d'une certaine façon, parce qu'il n'y avait aucun véritable idéal en jeu.

C'était le type de procès classique en Amérique, où il est question de liberté d'expression et du droit de quiconque a un point de vue personnel de l'exprimer en public et d'être écouté sans que l'appareil judiciaire menace et fasse pression. En fait, mon avocat a fait un discours au procès dans lequel il exposait le fait que l'histoire de la liberté d'expression se confondait avec celle du théâtre. Le droit d'un artiste ou d'un dramaturge à exposer ses vues. Ce fut une brillante description de ce processus historique, mais elle n'eut aucun effet sur la suite. Le Premier Amendement garantit en théorie la liberté d'expression. Il existe un arrêt qui stipule que tout spectacle dramatique ou artistique est protégé par cet amendement.

En fait, l'accusation a refusé d'auditionner tous les témoins qui étaient censés rappeler ce simple fait. On était complètement dans le cadre d'une affaire criminelle. Mes avocats s'étaient préparés à argumenter sur le fait que, dans tous les cas, ce dont on m'accusait n'allait en rien à l'encontre des valeurs contemporaines de la communauté, et ils ont voulu emmener le jury voir Woodstock et d'autres films du même genre. De plus, au moment du procès, le spectacle Hair se jouait à Miami, et ce spectacle n'était pas moins obscène que les faits qu'on me reprochait, il y avait tous ces corps à moitié nus qu'on voyait sur scène, et tout le monde pouvait y aller, il n'y avait aucune interdiction pour les mineurs, mais le juge s'attendait à cette manoeuvre et il a rejeté la motion.

Mais est-ce que le parallèle était bien approprié ? Dans Hair, pour conserver cet exemple, le langage employé et cette prétendue obscénité font partie intégrante de l'action. Diriez-vous de chacun de vos actes qu'ils s'inscrivaient dans un processus dramatique ? Vous étiez spontané.

Jim Morrison : Il s'agit néanmoins d'un spectacle qui a lieu sur une scène. Nous ne parlons pas d'un rassemblement politique. Nous chantons des chansons que tout le monde connaît. Les gens qui sont venus assister au concert possèdent nos albums, et ils savaient en gros ce qu'ils étaient venus voir.

De quoi avez-vous été reconnu coupable ?

Jim Morrison : Il y avait quatres chefs d'accusation; comportement obscène et exhibition indécente notamment. Et trois délits ou infractions; utilisation d'un langage obscène, et... voyons voir, oh ! ivresse publique et l'autre était lié à l'exhibition. C'était un délit séparé. Si bien que constitutionnellement, ils avaient tort. on ne peut accuser deux fois une personne d'un même délit. Ce point précis constituera un de nos motifs d'appel.

Pourquoi n'a-t-on pas évoqué ces problèmes au début ? Ne pouviez-vous demander un renvoi du procès ?

Jim Morrison : Nous avons demandé évidemment que le procès soit renvoyé, et cela un nombre incalculable de fois, mais nos demandes ont été systématiquement rejetées.

Il y a un autre motif d'appel : le fait que je n'ai jamais pu avoir un procès équitable étant donné le climat ambiant. L'oppinion publique s'est déchaînée pendant un an et demi; à cause d'un quelconque journal ou d'une rardio ou de ne ne sais quelle chaîne de télévision de Miami. On a deux dossiers pleins de coupures de presse en provenance de tout le pays. Mais il y a une chose qui était intéressante à observer, chaque jour, quand on rentrait : nos passages sur le petit écran. Ils n'étaient pas autorisés à filmer à l'intérieur de la salle d'audience, mais ils filmaient les arrivées et les départs. Et on avait le point de vue des journalistes sur ce qui se passait. Les premiers jours, ils s'en tenaient à un discours presque politique; c'était ce qu'avaient fait les gens pendant un an et demi, mais au fur et à mesure que le procès se déroulait, les journalistes eux-mêmes, quand ils parlaient de moi et des personnes impliquées dans l'affaire, ça se voyait juste dans les journaux et les articles qu'on écrivait, avaient tendance à porter un regard de plus en plus objectif sur le procès.

Parlons de l'avenir immédiat des Doors. D'autres concerts ?

Jim Morrison : Non, nous ne prévoyons pas de concerts pour l'instant. Nous ne sommes plus attirés pour l'instant par les grandes salles, et jouer dans les clubs un soir de temps à autre, ça n'a pas vraiment de sens. Je crois qu'on fera un ou deux albums encore, et chacun partira de son côté. Chaque musicien du groupe a maintenant des projets personnels, qu'il a envie de réaliser en toute indépendance. Je crois que Robby voudrait faire quelque chose en solo... quelque chose à la guitare essentiellement, et John a toujours été... au fond, il aime le jazz et je le soupçonne e vouloir produire un album de jazz. Robby et John ont produit il y a quelques années l'album d'un groupe d'amis à eux, un album intitulé A Comfortable Chair. Tous les deux ont vraiment une oreille pour la production.

Et vous ? Avez-vous un projet de film ?

Jim Morrison : Ahhh... je crois qu'au fond, c'est ce qui m'a toujours intéressé, bien plus que de faire partie d'un groupe. Faire un film. J'aimerais écrire et diriger un film; j'en ai un en tête, mais il y a un film que j'ai fait, et qui a été très peu diffusé, intitulé HWY.

Est-ce qu'il n'a pas été projeté au Canada lors d'un Festival du film Jim Morrison ? Quel accueil a-t-il reçu ?

Jim Morrison : On m'a dit que HWY avait été accueilli avec enthousiasme.

Ce n'était pas le cas au Festival du film de San Francisco...

Jim Morrison : Feast of Friends (Festin d'amis) a été projeté là-bas il y a un an environ. Je crois qu'ils ont réagi davantage à la personnalité qu'au film. HWY a été sélectionné pour le Festival du film de San Francisco, mais il a été ensuite refusé pour je ne sais quelle raison. C'est un film qui dure cinquante minutes, tourné en 35 millimètres et en couleurs. J'y tiens le rôle principal, et je l'ai réalisé avec quelques amis à moi. C'était un peu un exercice pour moi, une sorte d'échauffement. Il n'y a pas d'intrigue. Juste un autostoppeur qui vole une voiture... du moins, on le devine après... et il roule en ville et prend une chambre dans un motel ou quelque chose et voilà, ça se termine à peu près comme ça.

Interview prise sur http://www.multimania.com/doors/